Elle a fini par céder. Nancy Pelosi, la présidente des démocrates à la Chambre des représentants, a annoncé mardi dans une déclaration historique l'ouverture d'une enquête en vue d'une destitution de Donald Trump, qui a « trahi son serment de président, (leur) sécurité nationale et l'intégrité de (leurs) élections ». « Le président doit être tenu pour responsable de ses actes. Personne n'est au-dessus de la loi. » Un peu avant, dans une conférence, elle avait résumé : « Il a fait du non-respect de la loi une vertu. » Avant d'ajouter : « On ne demande pas à des gouvernements étrangers d'aider lors des élections. »
C'est un incroyable revirement pour Nancy Pelosi, qui avait résisté depuis des mois à cette décision, malgré les appels répétés de son aile gauche. L'opinion publique, disait-elle, y est hostile, après les mauvais souvenirs du cirque autour de la procédure visant Bill Clinton avec l'affaire Monica Lewinsky. Tout comme les républicains qui contrôlent le Sénat. Lancer ce type de procédure risque donc de s'avérer ruineux en termes électoraux, surtout pour les élus démocrates vulnérables dans des circonscriptions centristes.
Mais les nouvelles révélations, ces derniers jours, l'ont fait apparemment changer d'avis. Donald Trump, selon la plainte d'un lanceur d'alerte, a fait pression lors d'une conversation téléphonique en juillet sur le président ukrainien pour qu'il essaie de déterrer des informations compromettantes sur Hunter Biden, le fils de Joe Biden, membre pendant plusieurs années du conseil d'administration d'un groupe ukrainien gazier et accusé de corruption. Son père, alors vice-président, avait poussé au limogeage d'un procureur ukrainien considéré comme un ripou notoire par la communauté internationale. Les pro-Trump l'accusent sans preuve d'avoir essayé de protéger son fils. Il n'y a pas davantage de preuves jusqu'ici que Hunter Biden ait agi de manière illégale.
Donald Trump a admis avoir encouragé Volodymyr Zelensky à mener une enquête. Mais il nie avoir exercé des pressions. Lundi, pourtant, le Washington Post affirmait qu'il avait demandé à ses conseillers de bloquer l'aide militaire de 400 millions de dollars à destination de l'Ukraine quelques jours avant le coup de fil. Le président américain s'est justifié en disant qu'il avait stoppé l'aide en attendant que d'autres pays participent à l'effort. Rudy Giuliani, son avocat, a également reconnu que lui-même avait fait pression sur des responsables ukrainiens pour qu'ils enquêtent sur les Biden.
Ces révélations ont fait l'effet d'une bombe et ont convaincu dans les 48 dernières heures nombre d'élus démocrates peu partants jusque-là de soutenir la procédure de destitution. « Il arrive un temps où vous devez… agir pour protéger et préserver l'intégrité de notre nation », a déclaré en pleine chambre John Lewis, un congressman noir très respecté. « L'idée qu'un président en exercice utilise l'aide militaire des États-Unis pour faire pression et potentiellement extorquer au président d'un autre pays des informations calomnieuses sur un adversaire politique dépasse les bornes », a déclaré Elissa Slotkin, élue du Michigan.
Mobiliser l'opinion publique
Confrontée à ce tollé massif et au refus de Donald Trump de communiquer la plainte du lanceur d'alerte au Congrès, malgré le fait que la loi l'y oblige, Nancy Pelosi n'avait pas vraiment le choix. Près de 200 démocrates de la Chambre, soit plus des trois quarts des effectifs démocrates, soutiennent le lancement d'une procédure d'impeachment et le nombre n'a cessé d'augmenter ces dernières heures.
Si Nancy Pelosi a finalement cédé, c'est sans doute aussi parce qu'elle pense qu'il sera plus facile de mobiliser l'opinion publique sur le scandale ukrainien que sur l'affaire russe très compliquée. L'histoire ukrainienne, même si peu de détails ont filtré, peut se résumer en une phrase : c'est un abus de pouvoir flagrant, d'autant plus choquant que c'est le même genre de comportement – rechercher l'aide d'un gouvernement étranger pour l'emporter aux élections – qui a déclenché la très longue enquête du procureur spécial Robert Mueller.
En un sens, c'était inévitable. L'administration Trump n'a cessé d'accumuler les scandales et de rejeter les règles. Elle refuse, par exemple, systématiquement de soumettre aux élus de la Chambre des documents, de répondre à leurs questions, de laisser témoigner des responsables, empêchant ainsi tout contrôle de l'exécutif.
C'est la quatrième fois qu'est initiée cette procédure extraordinaire. Elle a été engagée contre Andrew Johnson et Bill Clinton, et Richard Nixon a démissionné avant. Aucun des deux présidents n'a été destitué. Il est clair qu'elle va provoquer une énorme bataille politique et juridique qui va monopoliser le débat, aggraver les divisions du pays et avoir des répercussions sur les élections de novembre 2020. Lesquelles ? Personne n'en sait trop rien. En effet, pour l'instant, on nage dans le brouillard. On ne connaît pas l'identité du lanceur d'alerte, à part le fait qu'il est membre des services de renseignements. On ne connaît pas non plus le contenu de la plainte, qui porte apparemment sur d'autres éléments que ce coup de fil. Et l'on ne sait pas encore comment Nancy Pelosi et des démocrates vont procéder pour mettre en œuvre le processus. Qui va le diriger ? Combien de temps va-t-il durer ?
Ce que l'on sait, c'est que, même si la Chambre des représentants se prononce pour la destitution, il y a peu de chances que Donald Trump perde sa place. Il faut en effet que le Sénat le condamne à une majorité des deux tiers. Or les républicains, qui le soutiennent à fond, contrôlent la chambre haute. Pourtant, ces mêmes républicains s'étaient mobilisés il y a 20 ans pour demander la tête de Bill Clinton, estimant que ses mensonges sur ses relations avec Monica valaient bien l'impeachment.
Autre chose à peu près certaine, Donald Trump et ses partisans vont tout faire pour contre-attaquer et discréditer le lanceur d'alerte et semer la confusion dans les esprits des Américains. Ils ont déjà lancé des attaques contre les élus démocrates les plus vulnérables.
Quant au président il a lancé mardi une rafale de tweets vengeurs, se plaignant d'être victime d'une « chasse aux sorcières », de « harcèlement présidentiel ». Il a accusé les démocrates d'être obsédés par l'impeachment. « Un jour si important aux Nations unies, tant de travail accompli et de succès, et les démocrates ont fait exprès de le ruiner et de le galvauder avec des foutaises de chasse aux sorcières. Tellement malheureux pour le pays ! »
« Vous verrez, c'était un coup de fil très amical et totalement approprié »
Va-t-il encore passer entre les gouttes comme il l'a fait dans tous les scandales précédents, le paiement à des stars du porno, le fait de s'enrichir avec ses hôtels dans l'exercice de ses fonctions, l'ingérence des Russes dans les élections ? Il est trop tôt pour le dire. « On me dit que c'est positif pour moi », a-t-il affirmé aux journalistes en faisant allusion au fait que ça va mobiliser ses électeurs. Au terme de cette folle journée riche en rebondissements, Donald Trump a déclaré qu'il avait autorisé la publication du compte rendu de sa conversation téléphonique. « Vous verrez, c'était un coup de fil très amical et totalement approprié. Pas de pressions. »
Il a aussi annoncé que le rapport du lanceur d'alerte, qui entre-temps avait fait savoir qu'il était prêt à venir témoigner devant le Congrès, serait enfin communiqué à la commission du Congrès, un changement de stratégie saisissant.
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